Mort d'un Raïs
Le monde arabe et musulman se souviendra longtemps de l'Aid Kébir (la fête du sacrifice) de l'année 2006 pour deux raisons. D'abord, parce l'Aid a coïncidé avec les festivités chrétiennes de Noël et de fin d'année. L'autre raison est encore plus tragique. A la matinée de la plus grande fête musulmane, les spectateurs se sont réveillés en allumant leurs postes de télévision sur la scène horrible de la pendaison barbare de l'ex-président irakien Saddam Hussein.
L'auteur de ces lignes n'essaie pas de défendre la réputation de l'ex-Raïs qui était loin d'être blanc de tout reproche. Souvenons-nous de Halabja et de Doujail. Mais même un dictateur déchu mérite un tribunal transparent et un jugement décent. C'est en substance ce que pense Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), «Les conditions de la détention, du pseudo-jugement, puis du meurtre légal de Saddam Hussein sont indignes des valeurs au nom desquelles on a dit vouloir renverser son régime »
Le choix de la date d'exécution est également intrigant. Offrant un avant-goût cynique d'un rituel religieux sacré, l'administration américaine a-t-elle sciemment voulu gâcher la fête de millions de musulmans? Comment le gouvernement américain, qui a dépensé des sommes astronomiques pour essayer d'améliorer les relations avec le monde musulman, a-t-il commis cette mise en scène morbide?
Cette exécution rapide, qui s'apparente à un acte de vengeance précipité, vise à clore le dossier Saddam le plus vite possible. Dans cette mascarade judiciaire, tout a été fait pour ne jamais impliquer les puissances étrangères qui ont pourtant aidé l'ex-Raïs à s'armer et à attaquer ses voisins. « Les statuts mêmes du tribunal feront en sorte que les Etats-Unis et les autres pays soient complètement écartés des accusations. Ce qui fera de ce procès un procès incomplet et injuste. Une vengeance du vainqueur. » Explique Chérif Bassiouni, rapporteur spécial à la sous-commission des droits de l'homme de l'Onu et président de la commission d?enquête sur les crimes de guerre dans l'ex-Yougoslavie.
Les images voyeuristes insupportables de cet acte criminel, qui circulent sur internet (dont les blogs de quelques uns de mes étudiants!!) commencent même à avoir l'effet inverse souhaité par l'administration américaine. Cette mise à mort a été condamnée par l'Europe, qui ne pratique plus la peine de mort. Elle a embarrassé également des millions d'Américains qui sont pourtant habitués aux exécutions capitales.
George Calloway, le député travailliste Britannique, va même jusqu'à estimer que ces images constituent « la plus grande erreur politique » depuis la diffusion des photos de la mort d'Ernesto Che Guevara. G. Galloway estime en effet que Saddam risque d'accéder très bientôt au statut de martyr et bien évidemment de héros arabe. Un statut tant convoité par l'ex-Raïs de son vivant.
© 2007. Tous droits réservés. R. Naim